JOP2024 : la solidarité hors-jeux
© Anaïs Odouart
Les Jeux olympiques de Paris ont rythmé l’été avec leur lot de célébrations et de médailles. Avec leur cortège de restrictions, de contrôles et d’expulsions aussi. Pour ne pas rompre le lien avec les populations précarisées, les équipes du centre d’accès aux soins et d’orientation (Caso) de Médecins du Monde à Saint-Denis, très proche du périmètre de sécurité des Jeux, ont délocalisé leurs permanences.
« Notre centre de Saint-Denis est situé entre le Comité d’organisation des Jeux olympiques et le stade de France, explique Matthieu Dréan, coordinateur de la mission banlieue Île-de-France. Nous avons vite compris que nous devions éviter d’exposer notre public, particulièrement les personnes en situation irrégulière, à des contrôles de police. »
Dès la diffusion des cartes d’accès aux sites des JO en janvier, et malgré les discours rassurants de l’agence régionale de santé et de la préfecture, la délocalisation du centre s’est imposée. Car pour bon nombre de Franciliens mal-logés, l’organisation de la grand-messe du sport a tourné à l’épreuve. Alors que dans l’ombre des préparatifs à marche forcée, les évacuations de campements de multipliaient, assorties d’expulsions d’Île-de-France, l’hypersurveillance est venue compliquer un quotidien fait d’errance administrative, de lutte pour trouver un toit, des moyens de subsistance ou un rendez-vous médical.
© Anaïs Oudart
Maintenir le lien
« Dès le mois de juin, nous avons largement communiqué auprès des personnes qui venaient au centre de Saint-Denis à travers des affiches et flyers en plusieurs langues. Nous avons également créé un groupe WhatsApp avec des messages vocaux. Et dès l’ouverture de la première permanence à Pantin le 2 juillet, le public était presque aussi nombreux qu’un jour normal », se réjouit Matthieu Dréan.
Le mardi après-midi, c’est à Pantin, dans les locaux des Relais Solidaires, que l’équipe de Médecins du Monde s’installe. Outre des consultations sociales, est maintenue l’activité de distribution du courrier aux quelque 200 personnes sans logement stable à qui Médecins du Monde propose une domiciliation. C’est une condition sine qua non pour toute démarche administrative – l’ouverture de droits à une couverture santé en particulier.
« Bien souvent, lors d’une demande d’aide médicale de l’État, des pièces complémentaires sont demandées par courrier. Et elles doivent être envoyées dans les trente jours. Nous devions continuer à délivrer le courrier », appuie Guillaume Bellon, responsable du Caso. Continuer, aussi, à aider celles et ceux qui souvent ne maîtrisent pas le français à se repérer dans le labyrinthe administratif que représentent les démarches d’ouverture de droits. À comprendre, notamment, l’absurde difficulté que constitue l’obligation de prouver sa présence irrégulière sur le territoire.
L'organisation des jeux olympiques se fait au détriment des précaires. Les instances organisatrices ne peuvent pas l'ignorer.
Responsable du CASO de Saint-Denis
Le soin comme porte d’entrée
Le jeudi et le vendredi, c’est le centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD) de Bobigny qui ouvre ses portes à une quinzaine de salariés et bénévoles de Médecins du Monde. Y sont proposés des consultations de médecine générale et psychologiques, de la médiation en santé, un accompagnement social et, proximité du CeGIDD oblige, des tests de dépistage. Bien avant l’ouverture des locaux temporaires, la foule grossit à l’extérieur, bientôt orientée vers un double accueil, infirmier et social, pour identifier les besoins.
« Sans accueil social, on ne maintient pas notre objectif premier de réorientation, de ne pas nous substituer au droit commun, souligne Guillaume Bellon. Le soin est la porte d’entrée dans les Caso et le Caso est un premier carrefour vers d’autres structures comme les Permanences d’accès aux soins de santé (Pass) des hôpitaux. » Or divers hôpitaux ont été réquisitionnés pour les athlètes, leurs familles, les délégations officielles ou encore la presse internationale. « La Pass de l’hôpital de Bondy, par exemple, est fermée. L’organisation des Jeux olympiques se fait au détriment des précaires. Les instances organisatrices ne peuvent pas l’ignorer », regrette Guillaume Bellon.
À Bobigny, les consultations médicales s’enchaînent, révélatrices de difficultés sociales qui ont un impact majeur sur la santé. Colette Amato, qui a récemment rejoint Médecins du Monde en tant que travailleuse sociale, a revu à Bobigny un homme d’une quarantaine d’années originaire de Côte d’Ivoire, ouvrier dans le bâtiment et victime d’un accident de travail. « Ses droits de santé ont été ouverts au Caso et sa situation a été régularisée, il devrait être pris en charge à 100 %. Mais il rencontre des problèmes de remboursements et ne trouve pas de logement. On doit reprendre son dossier pour le réorienter vers un recours pour un hébergement. »
© Anaïs Oudart
Adjoua, elle, vient d’être déboutée de sa demande d’asile. Après un passage par Toulouse, elle a suivi à Paris son mari qui espère trouver du travail. À la rue depuis une semaine, elle ne sait où s’adresser pour savoir si elle bénéficie toujours de la protection universelle maladie à laquelle elle avait droit pendant l’instruction de sa demande. C’est Viviane Jegou, accueillante sociale, qui parviendra à arracher l’information à la CPAM. « On ne voulait pas nous répondre alors que la jeune femme était là. Mais on a fini par nous confirmer que la prolongation de droits avait été accordée. Je sais qu’il y a des règles, mais quand même ! », s’indigne la bénévole. Pendant six mois encore, Adjoua et son bébé pourront accéder à des soins.
Malgré la peur des contrôles, les évacuations et la dispersion des personnes précarisées, les trajectoires douloureuses continuent de converger vers les dispositifs solidaires comme les centres de Médecins du Monde. Et c’est en s’adaptant pour préserver son activité que l’association entend documenter l’impact des Jeux sur le système de santé et sur l’accès aux soins de celles et ceux qui en demeurent les grands perdants.
Thomas Flamerion