Haute vallée de l'Aude :
Une oasis dans le désert
© Aurélie Godet
L’essentiel
Depuis 2016, Médecins du Monde mène un programme de médiation en santé dans la Haute vallée de l’Aude. L’association vient en aide aux personnes en situation de précarité vivant en milieu rural, où médecins et services publics sont rares.
ENJEUX
- Permettre aux personnes exclues des soins d’accéder à un suivi médical, de mieux prendre soins d’elles et de recourir aux dispositifs de droit commun.
NOS ACTIONS
- Permanences et activités mobiles d’accueil, d’écoute, d’orientation et d’accompagnement dans l’accès aux soins et aux droits,
- Actions d’information, de prévention et de dépistage avec des partenaires médicaux,
- Mise en place d’ateliers collectifs dans une démarche de santé communautaire : thématiques alimentation et violences conjugales,
- Création et participation à un réseau santé précarité sur le territoire,
- Plaidoyer pour l’accès à la santé et à la prévention sur tout le territoire.
NOTRE ÉQUIPE
- 10 bénévoles accompagnants et soignants (dont 2 médecins et 1 infirmière) ainsi que 2 salariés.
Dans le territoire rural de la Haute vallée de l’Aude, Médecins du Monde se bat chaque jour pour que les plus précaires réintègrent un parcours de soins. Pour un accès aux droits et à la santé, même dans l’un des déserts médicaux les plus arides de France.
La route dessine un serpentin à travers les montagnes verdoyantes de la Haute vallée de l’Aude. L’air est chaud et les petits hameaux défilent à la fenêtre entrouverte de la voiture de Médecins du Monde. Ce territoire rural du sud de la France, qui attire chaque année des touristes adeptes de rafting ou de randonnées, s’est transformé en véritable désert médical ces dernières années. Plusieurs services publics majeurs n’ont plus de guichet sur le territoire, comme la caisse d’allocations familiales (CAF) et la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM). Seuls 12 médecins généralistes interviennent pour 19 000 habitants. Tous n’exercent pas à temps plein.
Spécimens en voie d’extinction, les spécialistes sont presque absents du territoire. Il faut alors parcourir des kilomètres pour se rendre à une consultation. C’est le cas de Mark. Ce Suédois de 66 ans, qui vit d’une maigre retraite, est accompagné par Médecins du Monde à un rendez-vous médical à Perpignan. Dans la voiture, les traits tirés, il fait ce triste constat : « Ce matin, je dois aller à une visite ophtalmo post opératoire… Comment faire quand on vit seul, dans un village isolé, pas desservi par les transports en commun, et qu’on a des difficultés pour marcher ? » Le trajet durera presque quatre heures aller-retour, pour une visite médicale d’à peine dix minutes.
L’accompagnement à des rendez-vous fait partie de la réponse médicale apportée par Médecins du Monde dans la Haute vallée de l’Aude depuis 2016, à travers une approche de médiation en santé. Véritable interface entre les personnes éloignées du système de santé et les structures de prévention et de soins, ce procédé innovant fait du contact humain une priorité. Il se décline en permanences dans cinq communes, le local principal étant situé à Quillan, au sud de Carcassonne.
Notre territoire est de plus en plus délaissé et les personnes n’arrivent pas à faire valoir leurs droits.
Papiers d’abord, santé ensuite
Le public que rencontre Médecins du Monde dans la Haute vallée de l’Aude est composé à 20 % d’étrangers européens précaires et à 80 % de Français. « L’accès à la santé en France est un droit, mais le problème est l’effectivité de ce droit », souligne Flavienne Mazardo-Lubac, la coordinatrice du programme. Elle poursuit : « Notre territoire est de plus en plus délaissé et les personnes n’arrivent pas à faire valoir leurs droits, soit parce qu’elles ne les connaissent pas, soit parce qu’elles sont perdues dans les démarches administratives ».
À côté des problèmes de transports et des difficultés financières, la jungle administrative est un des principaux obstacles à l’accès à la santé. Une personne sur deux franchit la porte de Médecins du Monde pour ces raisons : perte de carte vitale, de numéro de sécurité sociale, aide à l’ouverture de droits à la complémentaire santé solidaire, etc. Une première approche primordiale qui cache souvent des demandes de soins implicites. « Avec la médiation en santé, nous remobilisons les personnes autour de leur santé en les amenant à se questionner et à exprimer leurs besoins », précise la coordinatrice.
© Aurélie Godet
Sortir de l’isolement
Face à un public largement isolé, 50 % des personnes rencontrées déclarant vivre seules, l’écoute est une dimension essentielle pour identifier les fréquents renoncements aux soins – 58 % déclarent ainsi avoir renoncé à se faire soigner dans les douze derniers mois. Plusieurs domaines sont laissés de côté, comme le bucco-dentaire ou la santé mentale. À Quillan, par exemple, le centre médicopsychologique (CMP) était ouvert une demi-journée par semaine seulement. Depuis le Covid-19, il n’a pas réouvert. Un drame pour Mickaël, 49 ans, qui après de longs mois d’attente pour obtenir un rendez-vous, mais aussi de réticences à laisser sa chienne seule, avait finalement accepté de rencontrer un psychiatre : « J’ai pu aller voir un psy deux fois et c’est vrai que ça m’a fait du bien ».
Mickaël, comme beaucoup d’autres, s’est installé à Quillan car il y est plus facile d’accéder à un logement social. Mais sans véhicule, pas de travail. Très vite, il s’isole et son état de santé se dégrade. « Je peux rester six mois sans parler à personne, aujourd’hui je voudrais déménager », confie-t-il. Morgane, 56 ans, pétillante et courageuse, connaît également un parcours difficile : « J’ai toujours travaillé, mais le jour où j’ai eu un grave accident en 2016, j’ai tout perdu ». Aujourd’hui elle vit du revenu de solidarité active. Avec moins de 500 euros par mois, elle a du mal à joindre les deux bouts.
Morgane vient régulièrement s’informer des actualités liées à la santé sur le territoire, sur le dépistage du cancer du col de l’utérus ou du cancer du sein par exemple. Surtout, lorsqu’elle pousse les portes du local de Médecins du Monde, c’est pour un sourire, une oreille bienveillante. Du lien social. « Parfois, je viens seulement pour discuter ou boire un café. Sans Médecins du Monde, la vie ne serait pas pareille. »
Aurélie Godet
Huguette Dubois, Responsable bénévole du programme de la Haute vallée de l’Aude
« J’ai accompagné un groupe de personnes précaires dans la création d’un jardin partagé. Ce projet permet pour certains d’accéder à des légumes et à une alimentation plus saine, pour d’autres c’est une activité qui leur permet d’avoir un but et de limiter leur consommation d’alcool. Jardiner, c’est une façon de lutter contre l’alcoolisme. Ici on fait quelque chose de ses mains, donc on ne pense pas à son addiction. Le Jardin des Colibris est considéré comme une oasis pour ces personnes souvent isolées qui touchent le RSA, de maigres retraites, ou des allocations pour handicap. Aujourd’hui, le jardin connaît un beau succès. Il a été retenu dans le cadre du budget participatif du département de l’Aude. La population audoise a voté pour ce projet, il y a une réelle reconnaissance citoyenne, financière et institutionnelle. »