Des légumes sains dans un corps sain
Pas de ramassage des ordures, un trafic dense et chaotique, Kinshasa souffre de la pollution. Les produits chimiques utilisés pour l’agriculture y jouent aussi un rôle, affectant le consommateur comme les maraîchers. C’est auprès de cette communauté de travailleurs que Médecins du Monde mène un programme pilote de santé et environnement.
« Notre technique, c’est ce qui nous donne la joie. Notre technique, c’est ce qui fait notre mérite. » Au rythme des chants et des prières, en bordure de l’un des champs qui s’étalent sur la rive gauche du fleuve Congo, à l’est de Kinshasa, une poignée de maraîchers plongent la main dans leur poche, mimant les gestes de l’ensemencement pour convoquer le succès des récoltes. Sous l’impulsion de Rose Bilonda, qui porte fièrement les habits d’animatrice endogène, l’assemblée a bravé la pluie pour profiter des enseignements d’un champ-école paysan. Une activité proposée dans le cadre du programme Prosmace – pour promotion de la santé des maraîchers, des consommateurs et la protection de l’environnement – mené conjointement par Médecins du Monde et son partenaire Caritas Développement Kinshasa dans les faubourgs de la capitale congolaise.
Transformer les pratiques
Avec près de 18 millions d’habitants, Kinshasa concentre une large part de la population du pays. Pour la nourrir, la culture maraîchère entretient son rendement à grand renfort de « vitamines », des mélanges achetés sur le marché local qui contiennent des produits pourtant interdits à l’importation. « Les maraîchères et les maraîchers veulent protéger leurs cultures des insectes, des rongeurs et de diverses maladies car elles les font vivre. Mais les pesticides chimiques laissent des résidus qui intoxiquent l’alimentation et appauvrissent la terre », s’inquiète le docteur Patrick Lusala, responsable du programme Santé et environnement de Médecins du Monde.
Nous travaillons aujourd’hui dans de bonnes conditions pour accueillir les patients.
Les légumes récoltés – amarante, épinard, aubergine, gombo, piment, ciboule, etc. – alimentent les marchés locaux, avec des risques pour la santé à long terme. À court terme, les traitements chimiques empoisonnent directement les cultivateurs qui ne portent aucune protection.
Sur la parcelle où se tient le champ-école paysan, des feuilles jaunâtres indiquent qu’il faut enrichir la terre. Rose Bilonda recommande aux cultivateurs équipés de bottes, gants, masques et lunettes fournis dans le cadre du programme de fertiliser avec la fiente de poule, un engrais naturel. Après l’amendement viennent les conseils sur les pesticides
biologiques à base d’ail, de tabac ou de gingembre. « Les maraîchers qui sont animateurs ou animatrices endogènes reçoivent des formations qu’ils diffusent auprès de leurs pairs, explique Fabrice Malumba, chargé du projet chez Caritas. Nous accompagnons ainsi plus de 600 personnes à travers 14 associations pour les aider à transformer leurs pratiques. »
Fred Bizau est de ceux qui mettent déjà à profit les enseignements ainsi transmis. « Vous prenez un kilo de tabac ou de piment que vous pillez avant de le plonger dans l’eau. Déjà au bout de 12 h vous avez un jus que vous pouvez pulvériser sur vos cultures. Mes produits évoluent très bien. Je produis même plus. Et je n’intoxique plus l’environnement. » Le maraîcher est également président du comité de gestion de la petite boutique d’intrants biologiques adossée aux champs. C’est l’un des axes du programme. Les cultivateurs y trouvent différents traitements naturels à un coût abordable, sur le lieu où ils travaillent.
Une meilleure offre de soins
La même volonté de casser la barrière géographique domine le volet santé du programme de Médecins du Monde, à savoir le renforcement des centres de soins les plus proches des parcelles de maraîchage. Le centre APRM, implanté au coeur du site agricole de Masina rail, a ainsi été complètement réhabilité. Joël Ngonso, l’infirmier titulaire, s’en réjouit : « Médecins du Monde a agrandi le centre et renforcé la capacité d’accueil, équipé la pharmacie, la maternité, a fourni du matériel de protection et les vaccins antitétaniques pour les maraîchers. Avant tout cela n’existait pas. Nous travaillons aujourd’hui dans de bonnes conditions pour accueillir les patients. »
Formées aux maladies professionnelles liées au maraîchage, les équipes médicales peuvent y faire de la prévention et traiter les pathologies les plus fréquentes – paludisme, filariose, morsures de serpent, coupures, infections urogénitales, rhumatismes – et les affections dues à l’exposition sans protection aux pesticides chimiques – difficultés respiratoires et digestives, éruptions cutanées, etc. « Il s’agit aussi de casser la barrière économique, ajoute Patrick Lusala, en appliquant des coûts préférentiels car les maraîchers ont de grandes difficultés à financer les soins. Seuls 4 % d’entre eux ont accès à la santé. » Dans les centres soutenus par l’association, les maraîchers bénéficient de consultations à 10 % seulement du tarif habituel, d’examens et de médicaments gratuits.
« L’idée est que les groupements de maraîchers soient au centre de tout ce qui est proposé dans le cadre du projet », insiste Patrick Lusala.
Qu’ils puissent ainsi faire entendre leur voix en plaidant aux côtés de Médecins du Monde pour l’amélioration du cadre légal d’utilisation des pesticides chimiques ou contre un autre fléau, la pression foncière qui les prive de terres cultivables. Marthe Kasongo en a fait les frais. Lorsque les propriétaires des terres qu’elle louait ont vendu à un promoteur immobilier, elle a perdu l’essentiel de ses ressources.
« J’avais des cultures en train de donner. Les engins ont tout détruit. Je dois solliciter de petits espaces auprès d’autres maraîchers pour travailler un peu. Au temps où j’avais moi-même des terres, je pouvais avoir 30 à 50 platebandes. Maintenant, je dois me contenter de deux ou trois. » Son souhait serait d’avoir plus de stabilité pour pratiquer tout ce qu’elle apprend sur l’agroécologie. Et semer sereinement les graines d’un avenir plus vert, plus sain, plus durable
Professeur Gilbert Pululu, Chercheur en botanique de l’Institut supérieur pédagogique de Gombe
Même ceux qui fabriquent les produits chimiques savent qu’il faut en limiter les effets. Mais tout est lié à l’argent. En France par exemple, le glyphosate devait être retiré du marché parce qu’il cause des cancers. Mais comme il s’agit de commerce, ils ont refusé de le faire et ont prolongé l’autorisation de commercialisation pour dix ans. Sur les flacons de pesticides chimiques distribués ici, le pictogramme qui indique la dangerosité du produit est tout petit alors qu’en Europe la règle impose qu’il soit plus gros. Ça n’est pas normal, les agriculteurs ne savent pas à quoi ils s’exposent. Je ne dis pas d’abandonner directement les pesticides chimiques mais je recommande de réduire la fréquence d’utilisation. Et je ne prétends pas que les produits biologiques ne sont pas dangereux mais le danger est très réduit. Il faut toujours utiliser les équipements de protection individuelle.
Kinshasa : Des pesticides qui rendent malades